Son (ses) livre(s) publiés chez JFE :
Quelques mots sur l’auteur…
Journaliste, professeur de français pour les étrangers et hypnothérapeute, Élodie Mopty parcourt le monde depuis plus d’une décennie à la recherche de ce qui nourrit le sens de la vie humaine. Elle écrit pour questionner, pour partager, pour faire « rêver plus loin que le bout de son nez ». La force que dégagent ses textes réanime notre propre flamme, si souvent menacée d’extinction, et nous remet en contact avec la magie d’être nous.
Autoportrait…
LE CHEMIN D’ÉLODIE
Un mardi matin de juillet 1982, à Messancy. Dans ce coin de la carte belge qui hésite entre la France et le Luxembourg. Du vert, des vaches, des champignons, des grenouilles, des rivières et même un petit lac. Et surtout, un ventre accueillant. Ce jour-là, il y eut un grand coup de bistouri, puis un cri. Univers, me voici ! Nue et sans fard, sans rien à gagner ni à perdre, comme on l’oublie toujours trop vite par la suite…
Les premiers crayons de couleurs servirent à dessiner des cabanes dans les bois, des fées, des châteaux des mille et une nuits, des animaux hybrides et des arcs-en-ciel sur la mer. Le premier stylo traça des A, des L, des S serpents. Comble de la joie, ma lettre préférée, le Y, qui termine mon nom, et qui peut s’entortiller de plaisir autour du pied du P.
Puis vinrent les premières histoires, sur des bouts de papier agrafés. Des histoires sans queue ni tête, avec des forêts de bonbons, des passages de murs en sautant sur des marshmallows, des énigmes, des sortilèges, de la jalousie, des amis lapins malins. Les histoires de toutes ces autres que je voulais être, en plus de moi-même. Ce moi-même qui me semblait bien trop petit pour expérimenter toute l’étendue de la vie.
Mais la Société, avec un grand S comme serpent, est venue siffler dans mes oreilles qu’écrivain n’était pas un métier, et qu’à mes petits bouts de papiers colorés, elle préférait un noble papier encadré avec des signatures officielles dessus. Ainsi je me fis tour à tour spécialiste en communication, agrégée de sciences sociales et professeur de français langue étrangère, sur des bancs bien trop arides pour m’inspirer autre chose que des envies d’ailleurs.
Ailleurs donc je suis allée, traçant des pointillés sur ce globe que j’avais tant fait tourner, enfant, dans le salon de mon grand-père. Soif de voir, de comprendre, de sentir ce que la vie avait à offrir de plus large que cet entonnoir du futur qui menaçait de m’étrangler. L’adultie n’a jamais été un pays qui m’a tentée. Pas cet encroûtement de l’âme qui sert de responsabilité. Était-ce une fuite ? La fuite, vous savez ce que Jacques Brel en dit, n’est-ce pas… « Quand quelqu’un bouge, les immobiles disent qu’ils fuyent ». Je suis d’accord avec lui. De toute façon, peu importe. À chacun d’expérimenter. Partir, c’était surtout une rencontre avec moi-même et avec l’Univers magique qui nous porte partout.
Entre-temps, quelques pièces d’or sont tombées dans mes poches, à force d’enseigner dans des écoles en discrimination positive, de donner des cours particuliers, d’apprendre le français aux réfugiés, de faire un peu de lobbying pour la paix. Belle récompense que l’argent, mais négligeable à côté du regard brillant des gens. C’est tout de même cet argent qui m’a donné des ailes pour voler à la rencontre des aborigènes, des Mayas, des saddhus, des pharaons, de Lao Tseu et autres sources sacrées millénaires. Je lui dois donc beaucoup, à ce nouveau Dieu.
L’entonnoir du futur sembla alors petit à petit se retourner : les possibilités s’avéraient infinies. Nous aurait-on menti ? La fin des rêves ne serait donc pas inéluctable ? La magie de l’Univers prenant de plus en plus d’espace sur un chemin de plus en plus libre, j’ai fini par choisir de m’asseoir à nouveau sur des bancs et de ressortir mes blocs de feuilles quadrillées. Étudier l’hypnose m’a passionnée, cette fois. Une corde de plus à mon arc. Et de quelle précision, cette corde. Je m’en sers presque quoditiennement, depuis lors, et je ne cesse d’apprendre de mes patients. En français, en anglais, en espagnol. En Belgique, en Malaisie avec des personnes handicapées, en Thaïlande avec des autres thérapeutes, en France avec des enfants. L’être humain est absolument incroyable et merveilleux. C’est la vérité, croyez-moi.
Au bout de trente ans de surexcitation intellectuelle, mes mains ont commencé à sérieusement fourmiller de désir de s’y mettre, elles aussi. En Asie, j’avais bien scié des bambous dans la jungle, monté des toits en feuilles et massé des paralysés, mais ça ne leur suffisait pas. Plus que ça, tout mon corps réclamait la vie au grand air, les nuits à la belle étoile, les pieds dans la terre. Rassemblant les dernières forces que la ville ne m’avait pas sucées, je me suis extirpée du cocon de ma vie communautaire bruxelloise qui m’avait tant fait grandir, et j’ai exporté mes rêves de cabane dans le sud de la France.
En 2013, c’est la vallée de la Méouge qui m’a ouvert ses flancs. Je suis tombée amoureuse d’un de ses petits villages des Hautes-Alpes, et j’y ai construit un abri, et mes premiers bancs en palettes de récup’, sur un terrain sans électricité, abreuvée par l’eau de la source. Oui, la simplicité rend heureux. Très. Un taux d’intérêt de joie de vivre à deux chiffres.
C’était chez moi. Jusqu’à ce que les trente habitants de Salérans en décident autrement. Apparemment, vivre sans argent n’est pas digne d’un mignon petit village tirant très fort à droite. Même si on ne prend rien et qu’on offre le thé, le curry thaï, les rêves dans les étoiles, les bras pour porter le bois, les sourires aux plus endurcis des chasseurs. Les deux dangereux jeunes gitans inconscients n’auront pas de passe-droit. La cabane de terre et de bois sera détruite après un an de vie naïve. Me revoici sur les chemins de traverse, et sans aucune idée d’où, cette fois, ils vont bien me mener….